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Les nouvelles formes de journalisme

« Les réseaux sociaux font émerger de nouvelles pratiques de journalisme »

Avec l’interview d’Emmanuel Macron, Brut.com a révélé au grand public la puissance des médias nés des réseaux sociaux comme Konbini ou Melty qui s’adressent aux « Millenials ». L’analyse de Jacques Rosselin, fondateur de Courrier International, pionnier de la web-TV et de la télévision locale, aujourd’hui directeur de l’École de Journalisme (EFJ).      

 Brut.com a fait la Une des journaux en interviewant président de la République, Emmanuel Macron. Comment analysez-vous l’émergence de ces médias digitaux ?

Les réseaux sociaux ont bouleversé la consommation des médias. Ces nouveaux canaux de distribution ont généré des formats d’information, compatibles avec leurs contraintes. Brut.com a été un des premiers médias à comprendre ce phénomène. C’est lui qui a lancé la vogue des vidéos carrées par exemple, adaptées au visionnage sur mobile.

La rupture remonte à 15 ans avec les débuts de Facebook (2004), YouTube (2005) et du smartphone (2007). Ces 3 phénomènes ont provoqué un séisme dans la distribution et dans la mise en forme de l’information. 

 Ces nouveaux médias s’adressent tous aux jeunes, en développant un nouveau style (interview « Fast and Curious » de Konbini), en utilisant les datas (algorithmes de Melty pour « ausculter » les communautés et sélectionner les thèmes à traiter). Mais leur financement ne dépend pas de la publicité. Quel est le modèle économique qui fonctionne aujourd’hui ?

Le bon vieux modèle de l’abonnement revient à la mode. La bonne santé du journal Le Monde qui vient de publier ses résultats le montre (voir encadré). Pendant des années, la presse, sous l’influence d’Internet, a opté pour un mode de distribution de ses contenus quasi-gratuit. En 2008, Mediapart a fait un choix iconoclaste et remis au gout du jour le fait qu’il faille payer pour avoir de l’information de qualité. Aujourd’hui, avec la consultation des contenus sur écran, deux modèles économiques se développent. Le premier, c’est celui de marques de référence, qui fondent leur succès sur la conversion de leurs lecteurs au numérique et sur les abonnements. Mais il faut s’appeler Le Monde, La Croix ou Le Figaro pour émerger. L’autre modèle repose sur l’engagement. Je pense à Mediapart ou à de nouveaux arrivants comme Reporterre. Ils s’appuient sur des abonnés qui sont militants autant que lecteurs, le « crowd-funding », le « memberships ».

Ces média nés à l’ère des like, des tweets et du partage peuvent-ils être indépendants des plateformes numériques qui les diffusent (YouTube, Facebook, …) ?

Non. On constate tous les jours la puissance des GAFA (pour Google- Amazon-Facebook-Apple) qui vivent de la publicité et de l’exploitation des data qu’elles concentrent entre leur main. YouTube est un « jardin fermé », avec des conditions de diffusion léonines pour ceux qui produisent de l’information.

Pour des médias comme Brut.com, une des stratégies de rechange est de recourir à ce qu’on appelle le « brand content » ou « le native advertising » qui sont en fait du publi-rédactionnel.

Il faudrait pouvoir négocier un partage équitable des revenus entre les GAFA, qui hébergent les contenus sur leurs plateformes, et les éditeurs, producteurs de contenus. Mais je doute que cela soit possible. On en regretterait presque le temps du Minitel ! On payait alors 1F par minute dont 1/3 allait à l’éditeur, 1/3 au serveur et 1/3 à l’opérateur France Telecom (devenu Orange) !

A contrario, le journalisme ne s’est-il pas renouvelé en partie grâce aux possibilités techniques offertes par le mobile et les réseaux sociaux ?

Certes les réseaux sociaux font émerger de nouvelles pratiques de journalisme. Ce n’est pas un hasard si Brut a embauché une star du « live », en l’occurrence Remy Buisine qui filmait à ses débuts sur Périscope, aujourd’hui sur Facebook Live. A l’EFJ, nous avons très tôt enseigné le MoJo (Mobile Journalisme). Techniquement, on peut faire du live multicanal avec un ordi et plusieurs IPhone. De même la captation d’image est en train de s’automatiser. On le constate dans le sport avec des caméras automatique installées dans les stades. La chaine 8-MontBlanc saisit des compétitions de ski avec des techniques low-cost et un traitement des images, en central,  sur des  plateformes dans le cloud, comme Dazzl. Autre exemple : Tik Tok, la nouvelle coqueluche des réseaux sociaux, n’est pas seulement une plateforme de diffusion. L’application offre aussi des capacités de production et de post-production des images (trucage, habillage de l’image).

Quels conseils donneriez-vous à des jeunes journalistes ou à ceux qui veulent s’adapter ?

Les basiques restent les mêmes : l’écriture, la hiérarchisation de l’information, le croisement des sources… Mais cette génération doit impérativement se former aux pratiques du journalisme numérique. A l’EFJ nous travaillons avec des partenaires média (dont Brut.com, Le Monde, Le Figaro) pour être au plus près des professionnels du métier. Nous les initions au data-journalisme, au langage informatique. Nous faisons intervenir des experts de Tik Tok pour leur apprendre comment tourner, et monter des vidéos de 15 secondes sur l’appli. De nouvelles tendances émergent constamment. Même Samuel Etienne, un journaliste de l’ancienne génération, vient ainsi de créer sa revue de presse sur Twitch, ce site de streaming consacré aux jeux vidéo.

Le groupe Le Monde enregistre un CA pour l’exercice 2019 de 302,7 millions dont 69% proviennent des lecteurs. Quant au numérique, il représente 27 % des recettes contre 15 % en 2014 (source communiqué financier). Le journal fondé par Hubert Beuve-Méry en 1944, a renforcé son traitement de l’information, en embauchant plus de journalistes (près de 500 en 2021 contre 400 en 2014), en leur donnant du temps pour des enquêtes de fond (cf. celle d’un an sur les féminicides qui s’est traduit en plus par un documentaire sur France 2), en adoptant de nouveaux formats d’information (cf. les Live comme celui sur le coronavirus), et en s’adaptant aux réseaux sociaux (cf. le Decodex, un moteur de recherche pour détecter la fiabilité d’un site). Le Monde a fait le pari de gagner de l’audience en misant sur la qualité et non sur la quantité (le nombre d'articles publiés a été réduit de depuis 2018). 

Propos reccueillis par Régine Eveno pour le NDLR du Club de la presse Occitanie

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