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Datajournalisme : les données au service de l’enquête
Dans un monde chaque jour plus digitalisé, les datas représentent une matière brute de premier choix pour les journalistes d’investigation. À condition de savoir comment les décrypter : avec patience, rigueur et professionnalisme.
On a tendance à dire que le datajournalisme est l’art de faire parler les chiffres. Une vision des choses bien trop réductrice tant ce nouveau territoire du journalisme offre de multiples possibilités d’enquête. Une « data », ou « donnée » en français, peut être un chiffre, bien sûr, mais aussi une image, une statistique, une requête de moteur de recherche, du texte… « Qu’est-ce qui distingue le datajournalisme du journalisme traditionnel ? C’est peut-être les nouvelles possibilités qui s’ouvrent quand on combine un instinct journalistique traditionnel avec l’énorme quantité et diversité d’informations numériques aujourd’hui disponibles » analyse Paul Bradshaw, enseignant à l’université de Birmingham et l’un des pionniers du datajournalisme. L’atout du journaliste 2.0 ? L’OSINT, l’Open source intelligence, le renseignement de source ouverte. Ce n’est pas un hasard si le datajournalisme s’est développé en même temps que l’Open data, mouvement militant pour un accès libre à l’information. En un peu plus d’une décennie, le datajournalisme est passé d’une tendance discrète à une vague de fond investissant les rédactions les plus récalcitrantes. Entretemps, il y a eu le phénomène Wikileaks et l’émergence, si précieuse, des lanceurs d’alerte.
Journalisme d’impact
« Je suis un chercheur d’or, et mes pépites, ce sont les données. Je dois creuser pour les trouver, puis les filtrer, les nettoyer, les qualifier, mettre certaines de côté, abandonner certains filons pour en privilégier d’autres, trouver des outils toujours plus sophistiqués pour parvenir à les traiter… » écrit Jean-Marc Manach, « journaliste hacker » français connu pour la qualité de ses enquêtes menées sur Internet. Car le datajournaliste est aussi une question de process : définir l’information et les bases de données (officielles ou non) à explorer, se servir de tableurs afin de croiser les données et établir des connexions, visualiser les données sous l’angle choisi. La datavisualisation est souvent utilisée pour mettre en forme de grandes quantités de données et les rendre facilement compréhensibles. Si les modes de traitement possibles sont nombreux, hors de question que l’esthétique de la forme prime sur le fond. De toute évidence, les datas sont à manipuler avec précaution et nécessitent une grande rigueur quant à leur sourcing, des erreurs de traitement donnant lieu à des interprétations erronées dommageables. Tout en laissant la porte grande ouverte aux fake news…
Bien que le journalisme de données ait parfois tendance à se limiter au fact checking ou à la production en chaîne de chiffres anxiogènes, il porte en lui l’idéal d’un travail d’investigation de qualité, voire même d’un journalisme d’impact permettant de raconter des histoires en phase avec le réel. Quitte à en dévoiler ses aspects les plus sombres. En 2013, Jean-Marc Manach avait enquêté à partir d’une liste de dizaine de milliers de migrants et réfugiés morts aux frontières de l’Europe fournie par le réseau d’ONG United. Le résultat : Mémorial des morts aux frontières de l’Europe, une carte interactive qui racontait ce que les chiffres ne pouvaient pas exprimer et donnait à voir l’ampleur de la tragédie qui se jouait (et se joue encore) à nos frontières. Selon Jean-Marc Manach : « Travailler les données, c’est aussi et surtout une question de perspective, et de point de vue ». Un « journalisme augmenté » et potentiellement engagé. Reste au journaliste à choisir son idéal.
Formation : pas que pour les geeks !
En décembre dernier, des journalistes du Club de la presse de Montpellier ont suivi un atelier en ligne de 2h intitulé « Les outils du datajournalisme » avec Alice Palussière, Teaching Fellow France du Google News Lab, structure dirigée par Simon Rogers, autre référence mondiale du datajournalisme. L’occasion de mieux comprendre la démarche du journaliste de données et des outils à sa disposition. Si le Google News Initative Training centre (g.co/newstraining) met de nombreuses ressources en ligne à disposition, cela reste largement insuffisant pour être autonome. Côté formations, le CFPJ dispose d’un cursus « journalisme éco data investigation » en partenariat avec Sciences Po Lyon, L’ESJ Paris vient d’ajouter un module « datajournalisme » à son mastère « digital media et journalisme » et L’ESJ Pro propose des sessions courtes « datajournalisme et visualisation de l’information ». Une certitude ? La maîtrise de l’Anglais s’impose comme une nécessité pour explorer les arcanes d’Internet.
Propos recueillis par Alice Rolland pour le NDLR du Club de la presse Occitanie.