Pourquoi le CDJM s’est-il saisi du sujet du traitement de l'information scientifique ?
Des journalistes avaient souhaité impliquer le CDJM dans les travaux sur la Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique. Le Conseil a décliné la proposition car cette charte va bien au-delà de la déontologie et de la pratique journalistiques. Pour autant, il nous a semblé important de créer un groupe de travail sur le thème plus vaste de l’information scientifique afin d’aider les journalistes généralistes à aborder ces sujets avec une rigueur accrue, en tenant compte de leur spécificité quel que soit le domaine concerné (santé, environnement, sciences sociales…). Nous sommes nombreux, professionnels et grand public, à déplorer de fréquentes dérives dans le traitement médiatique des crises que nous traversons (pandémie, climat, énergie…). Qu’est-ce qu’un·e expert·e ? Comment de pas tomber dans le piège de l’information spectacle ? Comment donner les clefs aux lecteurs·trices, auditeurs·trices, téléspectateurs·trices pour comprendre la démarche scientifique ? Le guide publié par le CDJM est un outil de travail et un soutien pour les journalistes amenés à négocier avec leur rédaction en chef sur la façon d’aborder les sujets scientifiques.
Quelle méthode de travail avez-vous adoptée ?
Notre groupe de travail, essentiellement composé de journalistes, a bénéficié du soutien d’organisations adhérentes du CDJM, notamment les Journalistes écrivains pour la nature et l’écologie (JNE), l’Association des journalistes scientifiques de la presse d’information (AJSPI) et l’Association des journalistes de l‘environnement (AJE). Nous avons étudié les chartes et les codes de déontologie de différents conseils de presse et de médias dans le monde. Nous avons aussi mis en ligne un questionnaire destiné aux journalistes des médias généralistes qui sont amenés à traiter de sujets scientifiques. Nous avons recensé les outils existants dans les écoles de journalisme proposant des options « sciences ». Enfin, nous avons examiné les documents traitant de déontologie à destination des scientifiques. De façon générale, nous avons travaillé en veillant à rester dans le cadre strict de la déontologie, sans entrer dans le champ des choix éditoriaux. Ce n’est pas simple car, en matière d’information scientifique, je pense que les choses évoluent rapidement : quand il y a consensus scientifique sur un sujet, que devient la notion de ligne éditoriale face au souci d’informer avec la plus grande exactitude ?
Pourquoi avoir choisi de faire un focus sur la santé ?
Nous n’avons peut-être jamais vu autant de prétendu·es ou soi-disant expert·es dans les médias que durant la crise sanitaire. Certes les dérives sur le traitement médiatique de la santé et de la médecine ne sont pas nouvelles mais, durant la période covid-19, certains médias ont mis sur le même plan des scientifiques et des expert·es auto-proclamé·es. Le CDJM a donc jugé nécessaire de consacrer une partie de ses recommandations aux sujets santé et médecine. La déontologie en la matière invite notamment au respect des malades et de leurs proches et recommande la prudence au moment de rendre compte des découvertes médicales. Mais globalement, que ce soit en termes de médecine, de climat, d’économie, d’astronomie, etc., nous préconisons de s’en tenir aux faits démontrés ou de ne présenter les hypothèses que comme des hypothèses, d’être clair vis-à-vis du public quant à la nature des contenus publiés (signatures de chercheur·euses ou d’expert·es), d’être attentif à la titraille qui ne doit pas altérer le sens des informations ainsi qu’à tout exercice de vulgarisation par exemple. De façon générale, la déontologie est un outil très utile pour respecter la rigueur particulière que l’information à caractère scientifique demande. Mais elle ne fait pas tout, car bien exercer son métier de journaliste suppose d’en avoir les moyens, notamment de disposer du temps nécessaire pour mener des enquêtes dignes de ce nom.
Interview de Christel Leca. Article écrit par Karine baudoin, pour le magazine trimestriel NDLR