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Rechercher la vérité ? Un combat permanent !

Rechercher la vérité ? Un combat permanent !

Quand le Midi Libre informe ses lecteurs et subit une perquisition pour l’avoir fait.

La recherche et la manifestation de la vérité, quelle belle mission ! Elle honore le journaliste et donne ses lettres de noblesse à un métier, dont l’exercice consiste à faire éclater la vérité. Les faits, rien que les faits. Cette règle si chère reste néanmoins fragile. 

Ainsi l’affaire de Midi Libre. Le 5 juillet 2006, une perquisition fut menée dans les locaux du quotidien. Un juge d'instruction l’avait ordonnée afin de déterminer les conditions et circonstances dans lesquelles le journal s’était procuré copie d'un rapport provisoire et confidentiel de la Chambre régionale des comptes, portant sur la gestion du Conseil régional du Languedoc-Roussillon lorsqu’il était présidé par Jacques Blanc.

Ce rapport provisoire ne faisait pas dans la dentelle. Il pointait une gestion dispendieuse, des voyages, des notes de frais et de restaurant, des dépenses de communication et, surtout, des pratiques susceptibles de déboucher sur des procédures pénales, en particulier chez Prodexport, un satellite de la Région, chargé de promouvoir les produits régionaux. Il était ainsi question de dilapidations de fonds publics et de dysfonctionnements.

Ces observations avaient alimenté une enquête publiée en deux volets, les 25 et 26 octobre 2005 dans le quotidien régional, sous le titre « L’accablant rapport sur la gestion Blanc ». Ses auteurs – François Martin, Jacky Vilacèque, Antony Jones et moi-même – avaient pris soin de vérifier préalablement l’authenticité du prérapport qu’ils avaient récupéré, et celle de son contenu, histoire de se préserver d’une éventuelle manipulation orchestrée par les sources qui, bonnes âmes, leur avaient passé. 

L’enquête en deux volets avait, du coup, fortement déplu à Jacques Blanc qui n’était plus à ce moment-là la tête de l’institution, puisqu’il avait été battu en 2004 par Georges Frêche. Le nouvel ex-président de Région avait donc choisi de déposer plainte et c’est ainsi que la perquisition fut conduite le 5 juillet 2006 au petit matin (6h) au siège de Midi Libre, au Mas de Grille par un juge d’instruction. 

Divers documents furent saisis et placés sous scellés, dont une copie du prérapport. Le juge d'instruction fit également procéder au clonage des disques durs des ordinateurs des journalistes signataires de l’enquête. Puis les quatre rédacteurs, ainsi que leur directeur de la rédaction, Roger Antech, furent priés de rejoindre les locaux de l’hôtel de police de Montpellier, afin d’être entendus par la division criminelle du SRPJ. L’objectif était de tenter d’identifier la personne qui leur aurait remis ou envoyé le document confidentiel.

Pas d’interrogatoire groupé. Chacun avait été isolé des autres et confié à un binôme d’enquêteurs, chargés de le confondre. L’interrogatoire prit fin un peu avant 20h pour le dernier d’entre nous. Et nous avons tous invoqué, durant nos auditions respectives, le secret de nos sources, un droit fondamental qui, loin d’être peccadille, vise à protéger tout simplement la liberté d’expression, et de ce fait le travail du journaliste. 

Aux policiers qui insistaient, nous avions également rappelé la méthode mise en œuvre : lors de notre enquête, nous avions contacté les personnes mises en cause, les prévenant suffisamment à l’avance, pour qu’elles puissent si elles le souhaitaient prendre la parole et donner leur point de vue. Jacques Blanc avait refusé, mais nous avions, là encore, respecté toutes les règles de notre profession et qu’à défaut de réactions recueillies, nous n’allions pas mettre ces informations sous le boisseau. 

« Ce rapport pointait l’engloutissement de sommes d’argent public suffisamment dodues pour que la presse s’interroge », justifiait le lendemain de la perquisition Jacky Vilasèque, dans l’article relatant cette folle journée. « Midi Libre est dans son juste rôle », avait surenchéri Roger Antech, dans son éditorial.  Le Canard Enchaîné se fendit du sien, en titrant le 12 juillet « Perqui’s sonne le glas ». « La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a déjà consacré le principe inaliénable de la protection des sources, le Code de procédure français ne l’a pas fait », constatait le journal satirique.

Nous fûmes ensuite mis en examen pour recel de violation du secret professionnel et avons très vite réagi en demandant l'annulation de la perquisition et des saisies, alléguant qu’elles contrevenaient à l'article 10 de la Convention des droits de l’homme. La cour d’appel de Montpellier rejeta la demande, tout comme la Cour de cassation. Pour les juges, la perquisition avait été effectuée conformément au code de procédure pénale. L’ingérence était, de ce fait, proportionnelle au but légitime visé, à savoir la protection des droits d'autrui - en occurrence la présomption d'innocence -, la protection des informations confidentielles et la nécessité de se prémunir contre des agissements de nature à entraver la manifestation de la vérité... 

Saisie à son tour, la Cour européenne des droits de l’homme ne fit qu’une bouchée de ces arguments, en les retournant contre nos juridictions nationales : « La question essentielle est de savoir si cette ingérence critiquée était « nécessaire dans une société́ démocratique », correspondait à un besoin social impérieux, était proportionnée au but légitime poursuivi et si les motifs fournis par les autorités pour la justifier étaient pertinents et suffisants. Et de répondre sans aucun doute : « Le rôle des journalistes d'investigation est précisément d'informer et d'alerter le public, notamment sur des phénomènes indésirables, dès que des informations pertinentes entrent en leur possession. » Et la France fut condamnée, pour n’avoir pas respecté ce principe intangible de la liberté d’expression. 

C’était en avril 2012. Dans l’intervalle, l'enquête judiciaire n’avait toutefois pas permis d'identifier quelles étaient les sources qui avaient fourni les documents. Ainsi, dans une procédure judiciaire parallèle à celle de la perquisition, le juge d'instruction avait rendu cinq ans plus tôt une ordonnance de non-lieu en faveur des journalistes, constatant qu'il n’était pas possible de savoir si l'auteur de la divulgation était tenu ou pas au secret professionnel. La cour d'appel de Montpellier lui avait emboîté le pas, estimant qu’aucun délit de violation du secret professionnel ne pouvait être établi ; le recel, dès lors, ne tenait plus. La Cour de cassation, saisie ensuite, enfonça le clou et l’affaire s’arrêta là.

Beaucoup d’encre avait donc coulé depuis la perquisition. Pour rien ? Sûrement pas. Car cet épisode l’illustre : quand il s’agit de liberté d’expression, les journalistes ne gagnent que des batailles. Ils doivent rester vigilants. Le combat n’est jamais vraiment gagné. La loi relative à la protection du secret des affaires, promulguée le 30 juillet 2018, en fournit une preuve éclatante. « De nombreuses associations de journalistes et d’organisations non gouvernementales (ONG) dénoncent des conséquences désastreuses pour tous ceux qui – journalistes et lanceurs d’alerte inclus – seraient amenés à dévoiler au public des manquements importants de la part des entreprises », rappelait le quotidien Le Monde (18 janvier 2019). 

La tentation du bâillon est toujours prégnante. Libération en fit les frais. En novembre 2020, le chef adjoint de son service Police-Justice était entendu dans le cadre d'une enquête ouverte pour violation du secret de l'enquête, à la suite d’un article sur l’attentat de Conflent-Saint-Honorine, dans lequel était citée une note du service du renseignement territorial des Yvelines. 

« Si notre journaliste est poursuivi pour avoir reproduit des extraits de cette note, la vocation première de l’enquête initiée par Gérald Darmanin est bien d’identifier la ou les sources de Libération », décodait Dov Alfon, le directeur de sa rédaction, tandis que la Société des journalistes et du personnel du quotidien le martelait  : « Le devoir d'informer n'est pas un délit. » 

Les faits, rien que les faits. Mais, encore faut-il pouvoir les recueillir, sans que les sources se tarissent. C’est tout l’enjeu. « Pas plus qu’aucun autre, le droit à la protection des sources d’information des journalistes ne peut pourtant être absolu. Il doit nécessairement se concilier avec d’autres droits et intérêts concurrents, individuels ou collectifs, et parfois s’incliner devant eux », écrivait en novembre 2020 Emmanuel Derieux, professeur à l’université Paris 2 Panthéon-Assas et auteur de Droit des médias, édité par L.G.D.J. Alors, la manifestation de la vérité, un chemin parsemé d’embûches, de plus en plus.

 

Pierre Bruynooghe (concepteur et rédacteur de contenus) pour le magazine NDLR du Club de la presse Occitanie  

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