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Interview

Rencontre avec Ingrid Courrèges : « Je ne suis pas complotiste »

Rencontre avec Ingrid Courrèges : « Je ne suis pas complotiste »

L’ex-candidate de « The Voice », aujourd’hui installée dans l’Hérault, connaît un certain succès sur les réseaux sociaux avec des chansons critiquant la gestion de la crise liée à la pandémie de coronavirus. Une notoriété renouvelée qui suscite l’intérêt de la presse nationale, parfois aux dépens de l’intéressée…

« Quel sera l’angle de votre article ? », nous questionne-t-on à l’autre bout du fil. Relativement méfiant à la suite d’un reportage diffusé quelques semaines plus tôt dans l’émission « Quotidien » (TMC), intitulé « Ingrid Courrèges, la chanteuse préférée des covido-sceptiques », l’entourage de l’artiste accepte facilement le principe d’un rendez-vous.

Nous nous retrouvons sur les bords du Lez, par une après-midi ensoleillée de printemps. Chaleureuse malgré le fond de l’air agité par un fort vent frais, la discussion commence par l’évocation des méthodes « pas très honnêtes » des journalistes de Yann Barthès. « Ils avaient le montage en tête avant de venir et ont réalisé une fiction », estime celle qui écrit ses textes et produit ses vidéos avec son compagnon.

Instrumentalisation

« Dès le début, on a eu droit à un petit concert privé », commente le reporteur après avoir poussé la porte du domicile conjugal. « Ce n’était pas du tout spontané. Je ne voulais pas chanter parce que mon piano n’était pas accordé, mais ils ont tellement insisté que j’ai fini par dire ‘oui’ », réagit Ingrid, dont les reprises de Charles Aznavour (« Libres au réveil »), de Florent Pagny (« Sa liberté de soigner ») ou de Cookie Dingler (« Nos libertés ») cumulent de 150 000 à plus de 200 000 vues. En revanche, elle ne cède pas aux requêtes répétées d’emprunter – à cinq – la même voiture pour se rendre à Alès, au rassemblement contre le port du masque pour les enfants où elle doit intervenir.

Les « micros-trottoirs » de deux manifestantes sont présentés. La première soutient que l’on ravale notre « salive » quand notre bouche est obstruée, la seconde que l’on respire alors de façon saccadée. La musicienne acquiesce, ajoutant qu’il n’y a pas de problème car l’air est abondant ce jour-là. « Les téléspectateurs de Quotidien scandalisés par cette ex-candidate de The Voice qui dit qu'il n'y a pas besoin de porter de masque quand il y a du vent car “ça aère” », titre dès le lendemain le site de GQ, tweets à l’appui.

« C’est évident que la première dame voulait dire ‘gaz carbonique’, mais ils ont isolé sa phrase et l’ont partagée comme ça pour la tourner en ridicule et se moquer d’elle publiquement », dénonce la vedette de l’après-midi. Ancienne soignante, elle précise d’ailleurs qu’elle n’est pas « anti-masque » mais s’élève seulement contre son imposition dans les situations où son efficacité ne serait pas prouvée, comme en extérieur.

Droit de réponse « satirique »

La séquence se termine par un dernier échange dans lequel l’interviewée lâche : « Je ne vois pas de corps s’entasser dans les rues, dans les hôpitaux. Je demande à ce qu’on me montre, si c’est le cas. » « Ils m’ont relancée cinq ou six fois sur la question du bilan, donc c’est plutôt un abus d’exaspération, analyse-t-elle. J’ai eu beau dire que mon message, c’est que les mesures prises pour lutter contre la maladie provoquent beaucoup plus de dégâts que la maladie elle-même, et que certains morts ont été estampillés ‘Covid’ alors que ce n’était probablement pas la cause de leur décès, ils n’ont gardé que ce petit bout-là. »

Elle a prévu un « droit de réponse » sous forme de clip satirique, afin de montrer comment, elle aussi, elle peut « orienter un discours grâce à un bon montage ».

Climat « anxiogène » et « course au buzz »

L’autre principal grief fait aux médias est de répandre un climat « anxiogène ». « À la télé toujours plus de morts, tu mets BFM et tes à Pearl Harbor », « Ça fait des mois quavec LCI, on est dans Black Mirror », scandent les couplets de celle qui déclare pourtant ne plus regarder le petit écran depuis plusieurs années. La trentenaire préfère s’informer sur les réseaux sociaux, en se fiant à son « bon sens » et à ses « connaissances personnelles ». Elle consomme beaucoup de sketchs humoristiques, avec un petit faible pour ceux de La Bajon.

L’interprète pointe un suivisme et une « course au buzz » qui aboutiraient à des raccourcis excessifs. Ainsi, sur le plateau de « Quotidien », le lancement annonce qu’elle « n’hésite pas à relayer des articles de France Soir, un site complotiste qui partage de fausses informations sur le Covid, et s’affiche avec Chloé Frammery, une célèbre conspirationniste anti-vaccin et proche de Dieudonné ».

« J’ai simplement repris les liens vers l’entretien que France Soir m’avait accordé pour évoquer mon engagement lors du deuxième confinement, et vers une de leurs tribunes sur la censure, rétorque-t-elle. Concernant Chloé Frammery, j’ai pris un selfie avec elle lors dun événement auquel nous participions toutes les deux à Annecy, comme je le fais avec des dizaines d’autres personnes qui viennent me voir. Je ne savais pas qui c’était, mais je tiens à mentionner que je ne suis pas anti-vaccin. Je considère juste que les prototypes employés aujourd’hui sont expérimentaux, et par conséquent ne doivent pas être rendus obligatoires. […] Je ne suis pas complotiste, puisque je ne parle pas de complot mais de mesures sanitaires et de privation de liberté discutables. »

Nouvelle notoriété

Pompom Pidou – son pseudonyme dans la quatrième saison de « The Voice », en 2015 – affirme que son public est multi générationnel. Elle en veut notamment pour preuves les profils des auteurs des commentaires sur ses pages, qu’elle modère directement : « Au départ, je conservais tous les avis. Maintenant, je supprime ceux – 1 % ou 2 % –  incitant à la haine. On peut laisser venir tout le monde dans sa maison, mais on a le droit de chasser les invités qui nous insultent ! »

Active sur YouTube, Instagram, Facebook, Twitter et InfoVF, la jeune femme s’est inscrite depuis peu sur Odysee. Cette plateforme de streaming fonctionne sous blockchain, ce qui rend plus difficile la suppression de contenus – comme cela a été le cas de la prise de position « Ce qui est irresponsable » sur la concurrente appartenant à Google (qui l’a finalement remise en ligne après réclamation). 

Celle qui est également comédienne gère tout elle-même, avec son concubin. Elle assure que le décuplement de sa visibilité ne lui a quasiment rien rapporté financièrement, et qu’elle vit toujours du revenu de solidarité active (RSA). « Notre nombre d’abonnés a augmenté, et si cela permet d’avoir davantage de spectateurs quand les salles réouvriront, tant mieux. Mais si la communauté doit redevenir ce qu’elle était, plus petite et plus modeste, aucun souci. Je suis passionnée par la musique et par le spectacle, donc je n’ai pas besoin de millions de gens qui me suivent », sourit-elle.

Thibault Bluy (journaliste) pour le magazine NDLR du Club de la presse Occitanie 

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