Dix novembre 2021, environ 80 militants s’introduisent dans un entrepôt de la société RAGT à Rodez et dégradent des sacs de semences OGM. Leur action est relayée dans la presse grâce aux journalistes présents : Médiapart, AFP, Reporterre, Midi Libre et d’autres journalistes de la presse locale et régionale. Parmi eux, Grégoire Souchay, journaliste indépendant basé en Aveyron, est en reportage pour Reporterre - le média de l’écologie. Depuis, il est poursuivi pour vol et dégradation en réunion avec circonstances aggravantes. Alors que comme ses confrères et consoeurs, il était sur place pour observer, prendre des photos, des vidéos, interroger les parties prenantes, prendre des notes. En deux mots : faire son métier de journaliste.
Cette action "d’inspection citoyenne" telle que désignée par les "faucheurs volontaires"
avait pour objectif de dénoncer la commercialisation de semences OGM produite par le groupe selon une technologie "clearfield", savante combinaison entre un herbicide et des variétés naturellement tolérantes. Sur place, les militants ouvrent des "big bags" et déversent leur contenu, rendant quelques kilos de graines de tournesol impropres à la vente. (Article publié dans Reporterre le 12 novembre 2021).
Convoqué à la gendarmerie puis au tribunal !
Trois mois plus tard, en février 2022, Grégoire Souchay reçoit une convocation pour une audition à la gendarmerie. Étonné mais confiant, il se présente, carte de presse en main et répond aux questions, persuadé de son bon droit. Situation étrange cependant lorsqu’ils réalise que le déroulé de son entretien correspond point par point à celui des 28 faucheurs interpellés, ne faisant aucun cas de son métier, raison de sa présence sur les lieux. Nouvel étonnement de taille cette fois lorsqu’il reçoit durant l’été 2022, une convocation en justice signée par le procureur de Rodez. Grégoire Souchay, journaliste, est bel est bien poursuivi pour vol et dégradation en réunion avec circonstances aggravantes !
L’affaire devient corsée. Parmi les journalistes présents, il est seul à être poursuivi, le seul à être en quelques sortes "assimilé" aux militants. Alors que comme ses confrères et consoeurs, il faisait simplement son travail sur place.
Reporterre soutient et Alexandre Faro, l’avocat de la rédaction, prend le dossier en mains. Une priorité : demander au procureur d’abandonner cette poursuite qui n’a pas de justification. Deux autres journalistes de Reporterre ont subi des pressions : une garde à vue avec amende pour l’un en 2020, une amende pour l’autre en 2021. Mais jamais encore une convocation en justice.
« Une atteinte directe à la liberté de faire mon métier »
« Je suis présumé suspect alors je suis journaliste. Que le procureur maintienne la poursuite après audition à la gendarmerie est inadmissible. C’est une atteinte à la liberté de la presse », se défend Grégoire, sûr – bien évidemment – de son bon droit. « Cela fait maintenant un an que cela dure et cela représente plusieurs semaines de travail perdues » entre courriers, procédures et temps passé à comprendre et à organiser sa défense.
Une menace sur les journalistes écologistes ?
Au quotidien, le journaliste continue à travailler sans « souffrir de préjudice » direct auprès des personnes qu’il rencontre sur le terrain. Mais certains sujets lui sont "interdits" : « Je suis empêché de traiter les actions des faucheurs ou l’actualité chez RAGT. Je ne peux pas objectivement traiter de la justice en zone rurale tant que je suis poursuivi ! » Cette poursuite constitue donc une entrave induite dans la pratique de son métier. « De même des collègues journalistes peuvent être amenés à hésiter à couvrir ce genre de sujets de peur d’être inquiétés. Il y a une pression judiciaire aujourd’hui qui n’existait pas auparavant notamment sur les sujets en relation avec l’écologie. »
« Alors on dit stop ! Laissez-nous faire notre travail en France. Arrêtez de nous attaquer ! »
La démarche de demande de retrait de la poursuite est en cours. Les syndicats sont mobilisés : SNJ, SNJ-CGT et CFDT y vont tous de leur courrier de soutien. Entre-temps le procureur de Rodez a changé. « On peut espérer que le nouveau procureur connaisse davantage les droits des journalistes et ait plus de bon sens ! »
L’audience initialement planifiée en décembre 2022 est prévue au 7 juin 2023.
Article écrit par Valérie Handweiler, pour le magazine trimestriel NDLR