Victimes de critiques chaque jour plus vives, pressés par des timings difficiles à tenir, extrêmement mal payés… La liste est longue des petits tracas du quotidien qui font de la vie du journaliste (qu’il soit pigiste ou non), une course de fond semée d’obstacles. De plus en plus présentes dans le champs médiatique, les agences de presse nationales, qui fournissent du contenu digital prêt à publier à la chaîne, y contribuent grandement.

Tout commence par un message privé sur le réseau professionnel LinkedIn. Le rédacteur en chef adjoint d’une agence de presse parisienne me demande si je suis intéressée par une collaboration. Sur le moment, je me sens flattée, tout en me demandant comment il est arrivé jusqu’à moi. Je n’ai pas mis à jour mon profil LinkedIn depuis un bail malgré un nombre de contacts certes grandissant. Sans doute qu’il s’est dit que justement, vu que je suis pigiste et apparemment pas tant occupée que ça, je cherche du boulot. Sur le moment, ce n’est pas le bon moment. Je lui dis que ça ne m’intéresse pas. Il insiste. Quelques mois plus tard je le rappelle, ma curiosité est trop grande. Et ma situation de pigiste chaotique. Très sympathique au téléphone, il me présente sa structure : une agence de presse nationale 360° (terme plutôt usité côté communication que journalisme) embauchant seulement des journalistes, travaillant pour de grands médias reconnus pour lesquels elle fournit du contenu digital à la demande, payant en salaire (tellement rare que cela devient argument de recrutement) avec l’assurance d’avoir sa carte de presse (parce que le CCIJP les connaît bien, me dit-il)… Bon, c’est sûr qu’en ces temps économiquement compliqués, c’est tentant. Dans mon cas, il s’agit d’écrire sur la gastronomie et la cuisine, des domaines qui ne sont pas forcément mis en avant sur mon profil LinkedIn. Je sens bien que ce n’est en rien dérangeant.

Moins de 20€ l’article sur facture

Mais évidemment, il y a un « mais ». Voire plusieurs. Le salaire ? 100€ la journée net en salaire (mais pas sûr que la prime d’ancienneté et les congés payés soit en sus, ce sont des question RH me dit-il pour ne pas avoir à répondre avec certitude) pour des sessions de 8h devant son ordi avec 1h de pause pour manger (mais des tickets restaurants, youpi !)… Et l’obligation de travailler deux week-ends par mois.Trois week-ends quand le mois en compte cinq. Rien que ça. Un trait tracé sur toute vie personnelle un week-end sur deux. Presque une habitude pour un pigiste, il est vrai. Bon, je me dis testons voir avant de dire non. Au moins pour voir de quoi il est vraiment question. Mais voilà, il faut passer un test. Et avant de passer ce test, il faut déjà s’engager sur ces deux week-ends par mois et plusieurs jours par semaine qui doivent être prévus plus d’un mois à l’avance. Ce qui veut dire qu’il faut accepter sans même savoir à quoi vont ressembler ses journées. Combien d’articles, pour qui, quel contenu, quelle taille, quelle pression ? Rien ne filtre. Je finis par laisser tomber, ce qui n’étonne pas mon interlocuteur. Je ne suis ni la première ni la dernière.

Cette agence, je ne citerai pas son nom. Certains la reconnaîtront peut-être. Ce n’est pas le propos. C’est totalement légal. Je connais des pigistes qui travaillent pour d’autres agences, toute aussi légales et reconnues, à laquelle font appel de grands médias régionaux et nationaux, c’est même pas 20€ l’article sur facture. Il y a de l’espoir : les journalistes sont encore payés pour écrire. Non parce que bon, il ne faut pas abuser quand même. Si les journalistes ne peuvent pas avoir leur carte de presse parce qu’ils doivent faire d’autres petits boulots à côté en raison de leur précarité ? Tant pis pour eux. S’ils ne peuvent pas avoir la mutuelle des pigistes ? Tant pis pour eux. Aujourd’hui, si tu veux être journaliste, c’est marche ou crève.

Relocalisation éditoriale

Il n’y a pas un jour qui passe sans que quelqu’un m’incite à laisser tomber, arrêter le journalisme, m’affirmant que je trouverai forcément mieux, plus intéressant, mieux payé, plus stable, avec moins de charge mentale. Comme beaucoup, je suis toujours à la lisière, sur le fil. Dès que mes piges baissent parce qu’un employeur ne peut pas me payer, parce qu’il préfère faire bosser d’autres journalistes, parce qu’il trouve que je ne suis pas assez disponible… J’ai envie de tout lâcher. Dans ces moments, je me dis que ces agences toute-puissantes font plus de mal que de bien, que le même boulot pourrait être fait par des collectifs de journalistes qui se paieraient à la juste mesure de leur travail sans au passage renflouer les caisses du business des médias. Cela n’empêcherait pas l’existence d’agences, à condition d’y ajouter plus de déontologie. Cela éviterait que la qualité du travail journalistique ne baisse par précarisation forcée, faisant partir les journalistes dégoûtés du métier et les lecteurs déjà de moins en moins nombreux.

Qu’est-ce qui donnerait à un jeune l’envie de lire, et surtout ce qui est le plus important, d’acheter la presse ? Vraiment, ce n’est pas en faisant de l’information au rabais que la presse va survivre. Comme pour le Made in France, il faudrait penser à faire de la relocalisation éditoriale, rapprocher l’information du terrain et des journalistes qui pour la plupart ne demandent que ça, faire leur travail, traiter l’information, courroie de transmission nécessaire entre l’information et le citoyen. Aujourd’hui, j’ai mal à mon journalisme, je suis à deux doigts de tout laisser tomber, et pourtant en écrivant cet article dont la chute est bourrée d’utopie malgré moi, je me prends à croire que ce n’est pas juste un beau rêve. Il suffirait pour cela de rendre l’information aux journalistes.

 

Alice Rolland

rolland.alice@gmail.com

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