Afin de lever le voile sur l’action du Centre français d’exploitation du droit de la copie qui a reversé, au titre de la rediffusion des contenus, 54,5 millions d’euros aux auteurs et éditeurs en 2023, la directrice générale Laura Boulet répond à NDLR.

Dans quelles conditions et quand est née l’idée de créer le Centre français d’exploitation du droit de la copie, appelé plus communément CFC ?

Le CFC a été créé en 1983 à l’initiative de la Presse médicale pour gérer collectivement les droits de reproduction électroniques de périodiques médicaux. Deux ans plus tard, face à l’explosion de la photocopie qui venait mettre en péril les mondes de la presse et du livre, il a été rejoint par la Fédération nationale de la presse d'information spécialisée (FNPS) et le Syndicat national de l’édition (SNE).

De qui dépend le CFC et comment est-il structuré ?

Le CFC est administré de façon paritaire par les éditeurs de livres, les éditeurs de presse et les auteurs/sociétés d’auteurs. Cette parité livre/presse et auteurs/éditeurs est respectée dans toutes les instances du CFC. Le CFC est agréé par le ministère de la Culture pour gérer les photocopies de pages de livres et d’articles de presse effectuées dans tous les secteurs d’activité ainsi que leurs rediffusions numériques dans le secteur pédagogique. Il gère les rediffusions numériques des contenus de la presse effectuées par les entreprises et les administrations dans le cadre de mandats que lui confient les éditeurs.

Quelles sont les principales missions du CFC ?

Notre rôle est de gérer collectivement les droits des auteurs et des éditeurs de la presse et du livre pour toutes les copies et les rediffusions des contenus de leurs œuvres dans les secteurs professionnels et pédagogiques. Nos principales missions consistent à autoriser contractuellement toutes les organisations à partager des contenus de presse et de livres dans le respect des droits de leurs auteurs et de leurs éditeurs ; à reverser à ces derniers les sommes collectées qui leur sont dues et à les informer sur les utilisations de leurs œuvres et de défendre leurs droits en France et à l’international. Enfin, nous aidons financièrement des projets culturels qui soutiennent les secteurs de la presse et du livre.

Comment procédez-vous pour collecter les droits d’auteur auprès des entreprises, administrations, établissements d’enseignement, associations, etc. qui rediffusent les œuvres ?

Nous signons avec ces organisations des contrats qui les autorisent à copier et à rediffuser les contenus de la presse et du livre quel que soit le format de ces utilisations. En contrepartie de cette autorisation, les organisations nous déclarent les références des contenus qu’ils utilisent ainsi que les volumes rediffusés et elles acquittent une redevance. A ce jour, les contrats du CFC autorisent ces rediffusions dans près de 80 000 organisations françaises.

De la même manière, comment redistribuez-vous les droits d’auteur ?

Les modalités de répartition des droits entre les créateurs sont définies par les auteurs et les éditeurs au sein des instances du CFC. D’une façon générale, grâce aux déclarations fournies par les organisations qui ont signé un contrat avec le CFC, nous attribuons, à chaque œuvre utilisée, une part des sommes perçues, proportionnellement aux rediffusions effectuées. Nous reversons ensuite plusieurs fois par an aux auteurs les droits qui leur reviennent.

Vous considérez-vous comme « le gendarme » du droit d’auteur en matière de presse et de livre ?

Il est vrai que notre raison d’être est définie par la loi et que le CFC a la mission de la faire appliquer et de contrôler les utilisations du livre et de la presse. Néanmoins, notre rôle pédagogique est primordial. Nous expliquons aux organisations ce qu’est le droit d’auteur : que si elles ne le respectent pas, les auteurs et les éditeurs n’auront plus les moyens de produire les contenus fiables dont elles ont besoin pour exercer leur activité et former les générations de demain. Nous accompagnons également ces organisations dans leurs utilisations des contenus, le choix des licences d’autorisation et dans la mise en œuvre de ces dernières au sein de leur société.

Pouvez-vous adresser des recommandations, des rappels à l’ordre, voire des amendes aux structures qui ne se conformeraient pas au droit d’auteur ?

Oui bien sûr. La loi qui régit la propriété littéraire et artistique prévoit des sanctions en cas de manquement. Concernant le droit d’auteur, toute reproduction de contenus effectuée sans autorisation préalable est considérée comme une contrefaçon, passible de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende. Bien entendu, notre objectif n’est pas de sanctionner, mais de permettre à tous d’accéder aux œuvres dans le respect des droits de leurs créateurs. Néanmoins, quand une organisation est récalcitrante et rediffuse sciemment des contenus de presse et/ou de livres sans autorisation, nous engageons des procédures contentieuses au nom des titulaires de droits que nous représentons.

Quels sont les montants globaux que le CFC collecte et redistribue ?

En 2023, le CFC a collecté près de 65 M€ et il a reversé, au titre des rediffusions de contenus effectuées l’année précédente, 54,5 M€. Nous reversons la plus grande partie des sommes l’année suivante de leur perception.

Le CFC agit-il au niveau international ?

Le CFC agit au niveau international à deux niveaux. D’abord, nous signons des accords avec nos homologues étrangers permettant aux organisations françaises d’utiliser des publications internationales et inversement aux organisations étrangères. Ensuite, nous siégeons et intervenons dans des instances internationales qui ont pour mission de promouvoir et de défendre le droit d’auteur dans le monde.

Le CFC consacre une partie des sommes qu’il perçoit au financement d’actions culturelles. Sur quels critères ces « lauréats » sont-ils retenus ?

Le CFC a la chance de pouvoir aider des initiatives qui participent au soutien et au rayonnement du livre et de la presse. Les auteurs et les éditeurs, au sein du CFC, ont décidé de privilégier les projets dont l’objectif est d’éduquer aux médias et de favoriser la lecture, de participer à la professionnalisation des acteurs du livre et de la presse, d’encourager la diffusion des œuvres françaises à l’étranger et d’aider plus globalement à la promotion des œuvres. En 2023, nous avons soutenu 98 projets.

En novembre 2023, le CFC a publié un baromètre des usages de la presse dans les entreprises. Quels sont les principaux enseignements de cette enquête ?

Que les entreprises et les cadres qui les composent ont un besoin croissant de s’informer et que le partage de contenus presse, quelle que soit sa forme (articles, audio, vidéo) est pleinement intégré à leurs activités. Les principaux résultats de cette étude sont éloquents : 87 % des cadres partagent des articles de presse en interne ou à des contacts professionnels à l'extérieur de leur entreprise. Quant à la rediffusion en interne, elle explose : 83% des cadres la pratiquent en 2023 (61 % en 2018).

Cette attitude est très régulière puisque qu’un cadre sur deux rediffuse des articles plusieurs fois par semaine. Ces rediffusions sont également multiples et très larges puisque 67 % des cadres diffusent à chaque fois entre 2 et 10 articles qu’ils envoient à un nombre de destinataires qui peut être important : 40 % les envoient à 2 à 5 personnes, 35 % à 6 à 20 personnes et  21 % à plus de 20 personnes

Enfin, cette étude a permis de constater une forte évolution du nombre de cadres ayant accès à des abonnements presse dans leur entreprise : 75 % des cadres y ont accès. Pour la première fois, davantage de cadres ont accès à des abonnements presse numériques plutôt que papier (45 % contre 43 % fin 2022).

Quelle est la provenance des articles partagés ?

43 % des cadres rediffusent le plus fréquemment des articles qui proviennent directement des titres de presse. Ces articles proviennent de leurs abonnements professionnels ou de la consultation gratuite d’un site de presse. 32 % des cadres indiquent également que ces contenus proviennent d’une société de veille d’information à laquelle l’entreprise est abonnée et 23 % qu’ils sont issus d’un achat ou abonnement personnel.

En termes de catégorie de presse, 51 % des cadres rediffusent des articles provenant de la presse quotidienne nationale comme Le Monde ou Les Échos, 12 % de la presse quotidienne régionale comme Ouest France ou La Voix du Nord, et 6 % de la presse magazine comme Le Point ou Capital. La presse professionnelle avec, par exemple, le Quotidien du Médecin ou l’Usine nouvelle, n’échappe pas au phénomène.

L’émergence de la presse numérique a-t-elle bousculé les pratiques, notamment celles liées au papier ?
L’accès à la presse numérique tout comme l’évolution des outils de diffusion numériques ont favorisé la croissance des partages des contenus de la presse.

Néanmoins, il est intéressant de noter la hausse du nombre de cadres ayant accès à un abonnement presse papier puisqu’elle concerne 45 % d’entre eux (32 % en 2018). A noter aussi l’évolution du nombre de titres papier auxquels ils ont accès : en moyenne 5,8 par cadre contre 3,8 en 2018.

Payer pour du contenu éditorial semble être devenu une évidence et une pratique répandue dans la sphère professionnelle. En revanche, le grand public n’hésite pas à faire circuler des articles sans se soucier du droit d’auteur. Quel regard porte le CFC sur ce constat, et comment peut-il agir ?

Il est bien entendu fondamental de sensibiliser tous les publics au respect du droit d’auteur. Le CFC s’y attache, notamment auprès des enseignants ou en mettant des supports d’information à disposition des salariés d’entreprises signataires d’un contrat avec le CFC.

Une partie de la copie privée numérique est également réglementée. Des droits sont ainsi prélevés sur le prix des supports numériques vendus dans un cadre privé et versés à la société Copie France par leurs fabricants et importateurs.

Copie France verse ensuite ces perceptions aux organismes de gestion collective qui gèrent les droits des œuvres concernées (musique, arts visuels, audiovisuels et écrits) afin qu’elles les reversent aux auteurs et aux éditeurs.

Le CFC reçoit ainsi de Copie France les droits destinés aux éditeurs de presse pour les copies de leurs publications sur les smartphones, tablettes, disques durs externes, clés USB, cartes mémoires, CD et DVD data. En 2023, nous avons distribué 2,2 M€ aux éditeurs de presse au titre de la copie privée de leurs contenus.

Quels sont vos principaux axes de travail pour l’année 2024 ?

La gestion collective est un outil fort et fédérateur. En 2024, face à la multiplication des acteurs du digital qui utilisent sans autorisation des contenus, le CFC va donc plus que jamais réaffirmer cette force du collectif pour concilier les droits des créateurs et l’accès aux œuvres par tous.

Nous allons continuer d’accompagner les entreprises dans leur mise en conformité avec des dispositifs d’autorisation simplifiés et mettre à leur disposition et à celle des créateurs des nouveaux outils et services numériques qui faciliteront la gestion des droits. Mais afin de réguler les nouveaux marchés du numérique, nous serons également fermes et n’hésiterons pas à engager des procédures contentieuses si les droits des créateurs restent bafoués. Nous allons aussi développer notre présence et notre communication envers tous les publics et renforcer nos actions pour représenter et défendre les auteurs et les éditeurs en France et à l’international. Nous sommes fiers d’œuvrer pour un partage juste et responsable de la presse et du livre.

 

Propos recueillis par Philippe Palat

agencepije@gmail.com

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